En règle générale, je m’arrange toujours pour avoir lu le livre qui l’a inspiré avant de regarder un film ou une série. Je dis bien « en règle générale » car pour Les Magiciens (The Magicians), je me suis laissé berner : j’ai découvert que les romans existaient après m’être jetée corps et âme dans le visionnage de la première saison.

J’ai donc hésité avant de tourner les pages du titre de Lev Grossman. C’est un manque, un petit vide laissé incomblé, une absence dans la série qui m’a décidée à sauter le pas.

Pour les néophytes, Les Magiciens, c’est surtout l’histoire de Quentin, un jeune homme un peu pommé, mélancolique chronique et éternel insatisfait. Il n’est pas vraiment adapté à la société et préfère se plonger dans l’univers qui a enchanté son enfance : les romans de Plover qui retracent les aventures de la fratrie Chatwin au sein du monde imaginaire Fillory. Il rêve notre Quentin, jusqu’au jour où, au moment d’entrer à l’université, il se voit offrir une place à Brackbills, la faculté (secrète, cela va sans dire) où étudient les magiciens en herbe.

Aux prémices de la série comme du roman, mon avis était un peu mitigé à cause d’un vague arrière-goût de déjà vu, prenez une pincée de Narnia, une dose de Harry Potter, mélangez bien et … Et bien non. On se rend vite compte que, s’il y a évidemment des similitudes avec ces deux grandes œuvres, elles tiennent plus de l’intertextualité savoureuse que de la simple ressemblance fadasse et vide de sens.

Nous sommes mis face à un O.V.N.I littéraire plus sombre, plus pessimiste. Tout y est question de passage impossible, de ponts inespérés et de retours en arrière entre l’enfance et l’âge adulte. Les personnages se voient confrontés de façon assez crue à leurs rêves. Si Harry avait toujours rêvé de faire de la magie, sa découverte de Poudlard aurait-elle été aussi enchanteresse ? Et si Alice avait fantasmé le pays des merveilles avant d’y être propulsée, n’aurait-elle pas été déçue ? Dès les premières lignes nous sommes doucement assaillis par une impression diffuse de monde sur le déclin, de fin d’une ère. La société dans laquelle évoluent les personnages semble rongée par la déliquescence. La décadence, des corps comme de l’esprit, est reine sans pour autant que l’ambiance se défasse d’une incroyable légèreté. Aussi ce roman s’adresse-t-il a un public averti. Le lecteur des Magiciens devra également apprécier les innovations littéraires et un certain inconfort impalpable.

De fait, Quentin prodigue un méta-discours assez récurrent autour du livre, de la fiction et du parcours des personnages. Il compare souvent sa vie, les évènements qui lui arrivent, à un roman, parfois mauvais, parfois lent, parfois illogique. Et, en effet, Les Magiciens est beaucoup moins calibré que les autres romans initiatiques à base de sorciers et de mondes imaginaires que l’on peut trouver dans nos bibliothèques. On suit moins clairement les grandes étapes classiques du voyage du héros. La narration est moins rythmée, il y a moins d’action, ou du moins l’action est moins équilibrée, moins … parfaite. Voilà un roman de l’imperfection. Il est plus contemplatif, avec un immense travail sur les ambiances et l’atmosphère. Ce qui, en dépit de tout son pan magique, le fait étrangement ressembler à la vraie vie. Je crois que je ne me suis jamais sentie aussi proche psychologiquement d’un autre personnage que Quentin. Il n’a absolument rien d’un héros, à aucun moment, il est parfois brillant mais souvent pathétique et il est somme toute, très réel.

Dans cette veine-là, Lev Grossman prend un plaisir certain à déconstruire les codes du genre et les stéréotypes attendus : le vieux et sage professeur n’est absolument d’aucun secours (au contraire), la figure féminine déifiée qui guide les protagonistes n’est qu’une manipulatrice opportuniste, l’antagoniste, s’il fait frissonner quand il daigne se montrer, est aux abonnés absents la majeure partie du roman … C’est innovant, c’est déstabilisant mais bon dieu ce que c’est rafraichissant !

Et dois-je souligner la beauté immanente de l’écriture ? Outre la plume sublime de l’auteur, il y a du génie dans la conception de l’univers, dans l’utilisation, l’origine et la représentation de la magie, dans la mythologie propre à Fillory … On est dans la beauté du détail, intense et intelligente.

J’ai effleuré le coup de cœur. J’ai seulement trouvé quelques passages longuets même si j’ai bien saisi leur utilité contemplative. C’est un livre que j’ai adoré, que j’ai lu comme une expérience littéraire à vivre mais que je ne conseillerai pas à tout le monde à cause de sa complexité, de son étrangeté narrative et ses quelques passages un peu heurtants. Mais si vous vous sentez d’attaque pour ce morceau d’originalité, foncez les amis !

Enfin, qu’en est-il de la série, me direz-vous ? Et bien, pour une fois, je peux vous dire que j’aime autant l’adaptation que l’œuvre originale. La série retranscrit à merveille l’atmosphère visuelle et sensorielle du livre, elle met parfaitement en chair les personnages et leurs failles, ce qui les rend attachants ou détestables. L’histoire est quelque peu modifiée, certaines choses sont mieux expliquées dans le livre quand d’autres détails sont beaucoup mieux exploités dans la série. La chronologie et la narration ne sont pas les mêmes non plus.  La série prend la liberté de pousser dans leurs retranchements des thèmes survolés dans le livre et ça envoie du lourd. A mes yeux, la saga littéraire comme la série télévisée se complètent et sont à savourer en parallèle ;).

Pour finir, quelques citations pour vous mettre l’eau à la bouche :

« La neige brûlait sous eux. Elle luisait comme un lit de braise. Ils étaient en feu et ce feu les consuma » page 204

« Quentin courut les yeux tournés vers le ciel, les genoux relevés, totalement insensible au-dessous du nombril, isolé dans sa gloire, perdu dans la splendeur du spectacle céleste. Il cessa d’être pour devenir un spectre courant, un feu follet de chair dans une nuit de silence et de givre. » page 212

« – J’ai déjà oublié leurs noms, dit Alice. On dirait des triplés à mes yeux.
– Et si on leur donnait des numéros ? On leur dirait que c’est la tradition.
– Oui, ensuite on ferait exprès de les mélanger. Panique garantie. Ou alors on les baptise tous du même prénom. Alfred par exemple.
– Les filles aussi ?
– Surtout les filles. » page 258

« Parfois, je me demande si l’homme était vraiment censé découvrir la magie, poursuivit Fogg en s’animant. Car, en vérité, ça n’a aucun sens. C’est un peu trop parfait, vous ne trouvez pas ? S’il y a une leçon que nous enseigne la vie, c’est qu’on n’obtient rien en le souhaitant.  Les paroles, les pensées ne peuvent rien changer. Le langage et la réalité sont deux phénomènes distincts – la réalité est quelque chose de dur, de résistant, et elle se fout de ce que vous pouvez dire ou penser à son propos. Du moins, elle devrait s’en foutre. On compose avec elle et puis on continue.

Les enfants ne savent pas cela. Ils pratiquent la pensée magique, pour reprendre l’expression de Freud. Apprendre à se défaire de cette pensée, c’est sortir de l’enfance. La séparation du mot et de la chose, voilà le principe fondamental de notre vie d’adulte.

Mais, dans le feu de la magie, il arrive que cette frontière entre le mot et la chose se délite. Elle se brise, et le mot et la chose se confondent. Le langage se mélange avec le monde qu’il décrit.

Ne serions-nous pas tombés sur un défaut du système ? Une sorte de court-circuit ? Une erreur de catégorie ? Une boucle d’étrangeté ? Et si la magie était un savoir auquel nous serions bien inspirés de renoncer ? Je vous pose la question : un homme qui jette un charme peut-il encore espérer grandir ? » page 280

« Imagine tous ces mondes imaginaires qui pourraient se révéler réels ! Si ça se trouve, la littérature n’est qu’un guide touristique du multivers. » page 333

« Chacun à sa manière, ils avaient découvert la même vérité : vivre ses rêves d’enfant une fois parvenu à l’âge adulte, c’est courtiser, épouser et étreindre le désastre. » page 501

Categories: Lecture

Sandy

Les livres et les bonnes histoires m’ont toujours accompagnée. Dans mes loisirs, comme dans mes études. Après un baccalauréat littéraire, j’ai suivi ma passion jusqu’en licence de Lettres Modernes puis jusqu’en Master à l’intitulé nébuleux (Imaginaires et Genèses littéraires) après lequel j’ai pris une année de pause en pensant me consacrer à mes petits projets trop longtemps remis au lendemain avant de poursuivre mon cursus en thèse. Cette année fut d’une richesse incroyable, j’y ai appris énormément de choses et surtout j’ai entrepris ! J’ai lancé ma chaîne youtube, le présent blog, j’ai fondé Magic Mirror éditions, j’ai écrit mon premier roman et entamé le deuxième … Tant et si bien que la thèse attendra encore un peu

4 Commentaires

Allegories · le 5 novembre 2017 at 20:52 pm

Bon ben je suis convaincue. Il va rejoindre la liste au Père Noël!

Libriosaure · le 8 novembre 2017 at 18:19 pm

C’est drôle parce que le titre ne m’aurait vraiment rien inspiré de bon et en te lisant, ça m’intéresse…

Je voulais te prévenir que je t’ai nommée pour les Liebster Awards. Je ne sais pas si tu as du temps, mais je serais très contente si tu participais !

Voici le lien : http://libriosaure.com/liebster-awards-quelques-faits-sur-le-libriosaure/

AudryEsprint · le 13 novembre 2017 at 16:58 pm

Haha honnêtement si je n’avais pas vu la série avant pour le coup je ne me serais certainement pas penchée sur le livre, comme quoi ;).
Oh merci pour la nomination, ça me fait super plaisir, je file voir ça !

Le Roi Magicien : entre lenteur et fulgurances – Wonder Factory · le 12 août 2020 at 16:47 pm

[…] relu la chronique que j’avais postée au sujet du premier tome de la saga et force est de constater que cette […]

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